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Zayd U-Hmad, une légende amazighe

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Zayd U-Hmad, une légende amazighe

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Lu pour vous : Ce que Mohammed VI doit au maréchal Lyautey

13 jeudi Déc 2012

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Le sultan Moulay Youssef et le Maréchal Lyautey en 1925 (Archives du Maroc)

Le sultan Moulay Youssef et le Maréchal Lyautey en 1925 (Archives du Maroc)

Le maréchal Lyautey a personnifié la présence française au Maroc. Il y a surtout renforcé l’autorité de la monarchie.

L’action d’un homme est à l’origine d’une formidable fabrication de l’Histoire du Maroc moderne. Celle d’une «exception marocaine» que le prince Moulay Hicham, cousin du roi, renie mais traduit volontiers par «une épaisseur historique» pour expliquer par quel miracle Mohammed VI a été épargné par les révolutions arabes.

Son nom: Louis Hubert Lyautey, résident général au Maroc d’avril 1912 à octobre 1925.  Lyautey demeure une icône largement respectée du Maroc indépendant. Un cas unique au sein du monde musulman, où une figure de la colonisation n’est pas honnie.

L’homme a consacré l’essentiel de sa carrière à la France coloniale, dont plus de vingt ans à l’Afrique du Nord. Mais c’est au Maroc qu’il a donné toute la mesure de son talent, au point que les élites dirigeantes du pays, qu’il contribua plus que nul autre à faire passer sous le joug colonial, n’ont cessé d’inscrire leur action dans ses pas. Peut-être même sans le savoir vraiment de nos jours.

La légende dorée du «bon colonial»

«En Lyautey, la France désire absoudre sa brutalité coloniale, ainsi que le regard hautain qu’elle porta sur les « indigènes ». Quant au Maroc, il trouve en cet homme la preuve du caractère unique de son destin, tandis que ses élites s’honorent d’avoir reçu tant de puissance et de dignité des mains de ce conservateur émérite», écrivait l’historien Pierre Vermeren dans Le Journal Hebdomadaire.

Avant lui, les historiens Charles-André Julien dans Le Maroc face aux impérialismes (1978) et Daniel Rivet Lyautey et l’institution du Protectorat français au Maroc (1988) ont déconstruit le mythe de l’architecte du protectorat, expliquant comment sa vision de la société marocaine a eu un impact considérable sur le Maroc moderne.

Mais qui fut Lyautey pour le Maroc au-delà de la légende dorée que lui ont tressée ses hagiographes? Le personnage se singularise par sa complexité: monarchiste au service de la République, Général méprisant l’esprit militaire, catholique défenseur de l’Islam, légitimiste qui choisit un sultan à sa convenance, inventeur du protectorat, dirigeant imbu de son autorité mais qui dénie celle de sa tutelle, l’homme déroute autant qu’il éclaire certains débats et enjeux du Maroc d’aujourd’hui.

Des convictions royalistes affirmées

Louis Hubert Lyautey est né à Nancy en 1854 dans une famille aristocratique lorraine. Catholique et royaliste, celle-ci donne par tradition ses hommes à l’institution militaire. Le jeune Lyautey assiste aux avant-postes à la débâcle française de 1870 face à la Prusse. Il hésite alors entre l’habit ecclésial et la tenue d’officier. En 1873 s’impose le choix de Saint-Cyr, pour forcer le destin et défier le triste sort d’une patrie abaissée. Signe avant-coureur, sa première affectation le conduit deux ans en Algérie.

Lyautey a des convictions royalistes affirmées. Il se dit légitimiste par défaut. Féru d’histoire et rêveur de gloire, il vit difficilement l’enracinement de la République. Mais lui, conservateur dans l’âme, est peu enclin à la conspiration.

Lyautey mène alors une brillante carrière d’officier de cavalerie, fréquentant assidûment salons mondains et milieux artistiques parisiens. A Paris, il brille par son esprit, sa plume et son art de la mise en scène à l’aube de sa carrière marocaine. Toujours célibataire, il n’a pas encore cependant charnellement prouvé son homosexualité.

À 40 ans, il quitte la France pour l’Indochine nouvellement colonisée. Elle sera sa «révélation», lui qui cultive en secret une fougue bismarkienne. Il y seconde le général Gallieni. Cette grande figure de la France des tropiques, de cinq ans son aîné, est un officier non-conformiste. Il invente la «tactique de la tâche d’huile», laquelle consiste à soumettre, sécuriser et séduire les populations «indigènes». Au seul rapport de force, il convient de substituer «un ordre juste», respectueux des coutumes et de la hiérarchie traditionnelle.

Lyautey est séduit par cette approche, tout autant que par Gallieni, dont il partage désormais les convictions et l’homosexualité. À l’orée de ses cinquante ans, déjà doté d’un riche passé colonial, le colonel Lyautey est affecté aux confins algéro-marocains.

Là, il y prépare l’encerclement de l’Empire chérifien. Cette expérience algérienne est déterminante dans la carrière de Lyautey. L’homme y apprend la rudesse du Maghreb, le désert, les tribus, l’Atlas, la noblesse des guerriers berbères, mais aussi les colons, leur morgue et l’esprit d’accaparement qui les anime.

À l’assaut du Maroc grâce aux rebelles

En Algérie, Lyautey acquiert la conviction que la France doit s’affranchir des traités qu’elle a conclus avec le vieil Empire chérifien. De son compagnonnage avec Gallieni, il retient la tactique de l’occupation progressive. La conquête du Maroc, dont il devient l’ardent défenseur à Paris, doit s’opérer grâce à ses forces centrifuges, les tribus «siba» c’est à dire rebelles au sultan, sans tenir compte du pouvoir central —le fameux Makhzen— jugé faible et sans importance.

L’accord franco-allemand de 1911 donne à la France les mains libres au Maroc, hormis les territoires laissés à l’Espagne. Elle se charge d’en assurer le contrôle au moment où l’étranglement financier du sultan et les concessions imposées à Moulay Hafid incitent les tribus et les chefs de guerre à le défier, et prendre la tête du jihad. Pour Lyautey, la France doit rétablir l’ordre en s’entendant avec les tribus récalcitrantes, qu’il estime désireuses de se débarrasser du joug d’un pouvoir tyrannique.

Il incite le gouvernement français à soumettre le Maroc. Le diplomate accrédité, Eugène Regnault, se saisit d’un appel à l’aide suggéré au sultan, et impose, le 30 mars 1912, le Traité de protectorat, dit «de Fès». Ce diplomate devient le premier résident général. Mais le plan échoue. L’annonce du traité, qui place le pays sous la protection des «chrétiens», provoque une levée en armes. Lyautey est alors nommé Résident général.

La rénovation d’une dynastie décrépie

Constatant que la France «marche dans le vide» au Maroc, l’officier pragmatique et intelligent abandonne rapidement ses illusions. Il estime que ce n’est pas de l’abaissement du Sultan qui viendra le retour à l’ordre, mais de l’application du traité, qui prévoit le respect de la souveraineté de l’État chérifien et du pouvoir législatif du Sultan, sous la tutelle de la France. La monarchie alaouite recevait ainsi son premier gage de survie.

Lyautey sécurise le Maroc central, transfère la capitale de Fès, alors assiégée par les tribus, à Rabat, et assure l’exil du sultan Moulay Hafid qui abdique. Lyautey fait avaliser par les oulémas —les gardiens de la foi— l’élection de son frère, Moulay Youssef, qu’il choisit pour sa réserve, sa piété et son manque de personnalité.

Pourtant, Lyautey s’attache à restaurer le trône alaouite dans une splendeur rénovée. Fasciné par cette monarchie surgie du fond des âges et épargnée par la modernité, ce conservateur esthète veut rétablir la pompe d’un sultanat décrépi. Il s’emploie alors à lui réinventer un décorum déjà fantasmé par les orientalistes et un faste que poussera bien plus tard à leur paroxysme Hassan II.

Lyautey considère alors par simple tactique ou profonde conviction – les historiens demeurent partagés sur cette question —que, seule, la restauration du pouvoir du Sultan dans son prestige et sa tradition, peut rassurer le peuple et ses notables, et briser le cercle d’une insurrection que cet admirateur de l’ancien régime tend à sublimer. Une idée qui deviendra le ciment du trône. Aujourd’hui encore quand la monarchie est menacée, c’est l’épouvantail de la désagrégation de toute une nation qui est brandi.

Lyautey est un homme du XIXe siècle séduit par «l’indirect rule»britannique, qui permet à l’Angleterre victorienne de contrôler l’immense Empire des Indes, et à son alter ego lord Cromer, «simple» consul, de diriger l’Egypte. Au grand dam des coloniaux, il s’honore d’être le «premier serviteur de Sidna» (Notre Seigneur).

En un geste qui frappe les imaginaires, Lyautey n’hésite pas à tenir l’étrier du sultan, lorsque celui-ci descend de cheval dans les grandes occasions. Comment ne pas penser un siècle plus tard à tous ceux aujourd’hui, politiques, hommes et femmes de pouvoir, intellectuels et célébrités d’Occident qui à chaque occasion qui se présente, tiennent la bride à Mohammed VI pour vanter ses mérites?

La monarchie, «une créature» de la France

Mais le Général est vite rattrapé par les nécessités de sa fonction et son caractère autoritaire. Lorsque, le 10 octobre 1912, Lyautey écrit à son ami Albert de Mun, «Je crois que Moulay Youssef est ma plus belle réussite», il signifie que l’édifice du protectorat est vicié, le contrôle s’exerçant sur une «créature du résident général». De surcroît, le résident s’évertue à maintenir le sultan en vase clos, entouré de «vieux Marocains rituels», sans contact avec les Européens, les automobiles et les dîners au champagne. La conservation confine alors à la momification.

Et que dire de la «politique des grands caïds»? Lyautey s’illusionne sur les «seigneurs de l’Atlas», chefs tribaux qu’il assimile aux pairs de France, cette vieille noblesse d’épée issue de la féodalité qui égale en dignité la Famille de France. Son royalisme nourri par Charles Maurras livre des millions de montagnards à la tyrannie du Glaoui, délaissant tout contrôle au profit de l’arbitraire le plus extrême.

Encore une fois, le parallèle avec l’actualité est saisissant. En France, la Ve République a toujours été conciliante avec les pouvoirs orientaux à la poigne de fer. De gauche comme de droite, les politiques français ont encouragé la monarchie marocaine à demeurer sous cloche, perpétuant d’une part sa dépendance à la France et encourageant le renouvellement d’une élite cooptée et asservie.

Pour porter ces convictions, Lyautey s’entoure d’hommes atypiques qui doivent à la fois porter les projets du chef, faire respecter la France des musulmans, conserver le «Vieux Maroc», et faire surgir cette «Californie française» autour de Casablanca, que Lyautey appelle de ses vœux. La cooptation makhzénienne, si redoutable aujourd’hui était née.

Le protectorat, une «fiction»? s’interroge Lyautey

Entre autoritarisme éclairé et pesanteurs coloniales, que reste-t-il du protectorat et de son essence, le «contrôle»? Dans sa stupéfiante «note du coup de barre» du 18 novembre 1920, Lyautey s’interroge. Et si le Protectorat n’était «qu’une fiction»? Mais il se lance aussitôt dans «le plus dur constat d’échec qu’un homme d’État ait dressé contre sa propre œuvre».

«Dans la pratique, Moulay Youssef n’a aucun pouvoir réel, il n’a de rapports qu’avec le conseiller chérifien (NDLR: Lyautey) qu’il voit journellement, mais c’est tout». Le Protectorat fait approuver au sultan des textes préparés par les services de la Résidence. Les Français ont l’administration directe «dans la peau», déplore Lyautey, qui constate qu’on «en arrive de plus en plus à l’administration directe». Mais de coup de barre, il n’y eut point, et le constat demeura sans suite.

Impuissant à appliquer le Protectorat, Lyautey en tire les enseignements. Au-delà de ses boutades sur le caractère éphémère de la présence française au Maroc, le Résident manifeste une étonnante et prémonitoire lucidité. Moins de 10 ans après le traité, il écrit:

«À défaut des débouchés que notre administration leur donne si maigrement et dans des conditions si subalternes, (la jeunesse marocaine) cherchera sa voie ailleurs», et «le mouvement d’idées qui est en train de naître à côtés de nous, à notre insu», tôt ou tard «prendra corps et éclatera».

En écho à cette prémonition, le vieux Maréchal déclare lors du Conseil de politique indigène à Rabat, le 14 avril 1925:  

«Il est à prévoir, et je le crois comme une vérité historique, que, dans un temps plus ou moins lointain, l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là – et ce doit être le but suprême de notre politique – cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent à se tourner avec affection vers la France».

Un royaume façonné de toutes pièces

L’ampleur de l’héritage laissé par Lyautey est assez considérable. L’empreinte la plus puissante concerne le trône chérifien, qu’il a reconstruit et pérennisé, doté d’un pays soumis et pacifié, et dont il a réinventé le prestige et la puissance. L’absence d’équivalent dans tout le monde musulman est à lui seul la preuve de l’ampleur de ce travail. Après 1912, Lyautey s’est attaché à réaliser la «pacification» du Maroc au nom du sultan.

Mais l’empreinte de Lyautey excède l’héritage étatique marocain. Jusqu’à la fin du Protectorat le 2 mars 1956, les 13 Résidents qui succèdent à Lyautey s’appliquent à «faire du Lyautey». Pourtant, leur conservatisme souvent frileux et parfois borné ne résiste pas à la comparaison. Lui avait anticipé l’indépendance du Maroc à l’aube des années 20. Mais les convictions de Lyautey, ses goûts et ses représentations, ont aussi durablement conforté un modèle politique et social marocain.

Dans Lyautey écrivain (1976), André Le Révérend souligne ses conceptions très peu démocratiques, un euphémisme… Lyautey considéra dès sa jeunesse qu’il appartenait à «une caste supérieure», et ne doutait pas d’avoir «le sentiment dans le sang» de faire partie «de la classe sociale la plus élevée». Cette propension à la suffisance sociale lui donnait l’assurance d’être dans son bon droit, d’être le «right man» appelé de ses vœux à la reconstruction de «l’Empire fortuné». Il aurait pu endosser le rôle du «Général revanche» selon l’expression de l’historien Daniel Rivet face à l’Allemagne, ou encore devenir le «Mussolini de la France» des années 30, mais l’histoire lui offrit le Maroc. Il le marqua d’une manière indélébile.

Un mépris hérité pour la démocratie

Le premier héritage qui transcende le Protectorat, c’est l’excès d’autorité du pouvoir d’État, et plus encore de son chef. Lyautey «considérait son pouvoir comme régalien, il se voulait entièrement libre», note Charles-André Julien. Son successeur, le Résident Alphonse Juin, ne s’y trompe pas, qui déclare au Président Vincent Auriol le 5 octobre 1947: «Oui, Lyautey instaura l’administration directe (…). Tous auraient fait comme Lyautey. Il fallait d’abord créer l’État chérifien». Jacques Berque, ancien contrôleur civil, reprend à son compte cette formule en vogue depuis Lyautey:

«Le Maroc est un pays où l’autorité est un postulat administratif. On n’y parle jamais de contrôle de l’autorité, mais d’autorité de contrôle».

Point besoin d’épiloguer pour analyser l’usage qu’ont fait de cette pratique les dirigeants du Maroc indépendant.

Le second héritage durable est l’extrême fragilité du sentiment démocratique, a fortiori républicain, légué par Lyautey. Ce représentant de la République n’avait que mépris pour elle, lui préférant l’autorité sans contrôle, et le respect des hiérarchies traditionnelles. Lyautey agit toujours en «patron et non en démocrate» et a «dans la peau le dogme des hiérarchies sociales».

Lyautey a révoqué certains de ses fonctionnaires, même de qualité, pour républicanisme, mais s’accommode de la corruption de ceux qui le servent, s’ils lui obéissent. Confrontées au spectacle d’une France autoritaire éloignée des principes qu’elle proclame, les élites marocaines restent souvent à l’écart des idées démocratiques, et se demandent légitimement si la République française n’est pas, elle aussi, une fiction. Pour eux, des expériences comme celle du Mouvement du 20 février sont soit au mieux romantiques soit au pire dangereuses pour «l’ordre établi» si cher à Lyautey.

La consécration d’une société de castes

Le troisième héritage manifeste de Lyautey est la perpétuation au Maroc d’un ordre social particulièrement inégalitaire. Devant les chefs indigènes, Lyautey déclare en octobre 1916:

«Le Makhzen fortuné, les chefs héréditaires et les Pachas forment autour de lui (le sultan) comme une couronne éclatante de joyaux précieux».

Dans la directive politique qui découle de cet éloge aux grandes familles, Lyautey exige de ses administrateurs «que les rangs et les hiérarchies soient conservés et respectés, que les gens et les choses restent à leurs places anciennes, que ceux qui sont les chefs naturels commandent et que les autres obéissent». Une doctrine plus que présente aujourd’hui où l’esprit de caste est une norme difficilement transgressable.

Cette politique s’est matérialisée par les «écoles de fils de notables», les collèges musulmans, l’école des officiers de Dar el Beïda de Meknès, ou encore la politique des Grands Caïds. Plus tard, ce seront les lycées de la Mission française qui assureront cette politique de «coopération» dont l’un des plus imposants, celui de Casablanca, porte le nom du Maréchal Lyautey. Lorsque le Résident Eirik Labonne déclare en 1947, «Nous avons misé sur une oligarchie, sur une caricature d’aristocratie (…). Jouons maintenant la carte du peuple», il était déjà trop tard pour voir éclore une transition démocratique et socialisante.

Dans ces conditions, «structurellement, Ben Barka n’avait qu’une chance infime de devenir le Bourguiba marocain», résume avec justesse Pierre Vermeren.

Aussi, la biographie de Lyautey et sa politique marocaine expliquent bien des réalités sur le Maroc de Mohammed VI. Elle n’était pourtant pour lui «qu’une province de son rêve».

Ali Amar

D’après les travaux, articles et ouvrages de Pierre Vermeren, Charles-André Julien et Daniel Rivet

Source : SlateAfrique

Lu pour vous : Sultan of swing

13 mardi Nov 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire

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1912, Abdelaziz, Glaoui, protectorat, Tel Quel


Moulay Abdelaziz a régné de 1894 à 1908 sur le Maroc. Mais dans l’intimité, c’était surtout un passionné d’art, de photographie, d’automobiles, de gadgets et de jeux en tout genre. Immersion dans le quotidien d’un monarque pas comme les autres.

Abdelaziz

P­­­lanté au milieu de la “cour des amusements”, il filme des femmes juchées sur des bicyclettes ou des tricycles à pétrole. Elles rient aux éclats. Le sultan, lui, est fier de leurs prouesses : c’est lui qui leur a appris à monter à vélo. La bicyclette siège en bonne place des loisirs préférés de Moulay Abdelaziz. A tel point qu’au milieu de son palais de Marrakech, il a installé tout un circuit avec rampes et obstacles en planches et en matelas pour mieux s’amuser à vélo. Et avec quelques proches, il a même inventé le polo à bicyclette, un sport peu académique. Gabriel Veyre, auteur de l’ouvrage Dans l’intimité du sultan, à qui l’on doit cette scène de vie à l’intérieur du palais, s’amuse beaucoup de ce roi qu’il dit “brave homme” à la curiosité insatiable, à l’esprit vif et aux plaisirs simples et enfantins. Son  ouvrage est l’un des rares témoignages dont on dispose sur l’intimité de Abdelaziz.

 

L’histoire de la rencontre entre Veyre et le sultan commence ainsi. Abdelaziz décida un beau jour de se mettre à la peinture. Un Américain, Schneider, s’installe au palais pour le lui enseigner. Seulement, le sultan se lasse : il veut maintenant s’adonner à la photographie. Mac Lean, un commerçant britannique devenu instructeur dans les armées royales, et par la même un proche du monarque, s’attelle à trouver un enseignant à son patron. Il dégote Veyre, photographe français, qui accepte cet emploi représentant à l’époque une aventure incroyable. A son arrivée au palais, en 1901, le Français s’inquiète de voir apparaître un féroce tyran. Quelle ne fut sa surprise lorsqu’il découvre un jeune homme —Abdelaziz est alors âgé de 21 ans— d’une extrême gentillesse et d’une grande compréhension.

Sa Majesté des jeux

Le jeune roi aime s’adonner à divers jeux et exercices sportifs, des plus nobles, comme l’escrime, aux plus enfantins, tels que saute-mouton, en passant par le football, le trapèze ou encore le tennis pour lequel avait fait installer un court dans l’enceinte du palais. Veyre eut alors l’idée de ramener au Maroc un tricycle automobile. La curiosité de Abdelaziz est piquée au vif : “Ces mécaniques l’intéressèrent. Il demanda à quoi servaient les différents organes, toucha les manettes (…) après de brèves explications, il s’est lancé à pleine vitesse à travers la cour.” Très vite, l’amour du sultan pour les engins à moteur pousse Veyre à passer commande d’automobiles. Abdelaziz en choisit quatre sur un catalogue. Une des voiturettes étant arrivée en piteux état, on sauve son moteur pour fabriquer une machine à glace. De son amour pour les automobiles, Veyre écrit : “Il s’y adonna avec une sorte de frénésie, comme il faisait pour toutes ses fringales successives.” L’automobile n’est en effet qu’un des multiples loisirs et engouements passagers du sultan. A la cour, on trouvait aussi un billard “richissime, tout marqueté, tout doré”, auquel Abdelaziz jouait en compagnie de Mac Lean et Veyre. Ces derniers, par souci ou par excès de courtisanerie, avaient pour habitude “d’oublier” de comptabiliser leurs points sur le marqueur manuel. Ayant remarqué la supercherie, Abdelaziz, fâché, pressa Veyre de lui installer un marqueur électrique sonnant à chaque coup. Autre dada royal : le lancement de montgolfière, art compliqué qui nécessitait que chacun mette la main à la pâte, jusqu’à El Menebhy, le très sérieux ministre de la Guerre. Enfin, ultime joie du sultan : les feux d’artifice. Aux détonations des fusées répondaient les explosions de joie de Abdelaziz qui, dans l’excitation, s’approcha même une fois fort dangereusement du champ de tir.

Photographe, collectionneur, esthète…

Venu enseigner la photographie, Veyre ne fut pas déçu. Il écrit : “Je crois bien que de tous les passe-temps auxquels il s’est adonné, c’est celui-là qui a le plus longtemps amusé Abdelaziz. Il y était devenu d’une rare habileté.” De plus, l’élève talentueux qu’était le monarque tint à apprendre à développer lui-même ses clichés dans le laboratoire monté par les esclaves dans le palais et sous les instructions de Veyre. A peine mis au courant de l’existence de la photo en couleurs, le sultan s’y consacra avec ferveur et enthousiasme. Veyre le décrit “passant de longues journées, enfermé dans son harem, à photographier ses femmes. (…) Il  les fit parer de leurs atours les plus voyants, de leurs bijoux, colliers, bracelets, aigrettes ; il les plaça devant des fonds d’éclatants tapis, disposa autour d’elles, sur la table drapée de violentes étoffes, des fleurs artificielles, baroques, criardes, et chercha enfin à réaliser les tableaux les plus colorés qu’il put former. Il obtint souvent de très jolis clichés.” Les favorites du harem, en plus d’être l’objet de portraits, sont initiées par leur maître à l’art de la photo.

Tous les jours, au palais, un nouveau chantier était lancé. Au point que le lieu finit par ressembler à une ménagerie géante doublée d’un bric-à-brac invraisemblable. On y trouve pêle-mêle, selon les listes des différents chroniqueurs de l’époque, des gramophones, des petits trains électriques, un piano à queue, un ascenseur (posé à même le sol), des oiseaux empaillés, une fontaine d’eau de Cologne, et des animaux : wapitis, zèbres, boas, lamas, antilopes, singes, lions et autres. Les achats compulsifs du sultan font le bonheur des arnaqueurs, à l’image de cet Américain qui lui a vendu un bulldog britannique édenté pour une somme astronomique.

J’aurais voulu être un artiste

Difficile, lorsque l’on lit entre les lignes, de ne pas voir apparaître un Abdelaziz dont le caractère n’était pas forgé pour gouverner… Veyre décrit même un personnage qui “était la bonté et la faiblesse même.” Un homme qui répugnait à la guerre comme le rapporte le Français à qui Abdelaziz confia lors d’une discussion sur un lointain conflit en cours : “Si j’avais de l’argent, ce n’est pas à la guerre que je le dépenserais !” Walter Harris, journaliste américain du Times, installé à la cour, narre cette anecdote : alors qu’il s’entretient avec le sultan à propos de ses difficultés à faire respecter ses ordres, celui-ci s’emporte un temps, puis se rétracte et lâche : “Vous ne savez pas combien je suis las d’être sultan.” Harris affirme qu’au moment de cette confession, les yeux du monarque sse sont remplis de larmes. Veyre, en revanche, rapporte un certain nombre d’excentricités royales. Comme ce jour où il croise le sultan arborant des chaussettes “d’un rouge éclatant” – la tradition vestimentaire vouait les sultans aux chaussettes blanches – et arguant : “Il paraît que c’est la grande mode à Londres !” Le caractère farceur du sultan est aussi décrit par moult historiettes. Lorsqu’il s’entraînait au tir à la carabine en compagnie de El Menebhy, il ne manquait jamais de traficoter auparavant le mécanisme du fusil de son concurrent. Ce dernier ratant par conséquent sa cible, le sultan le raillait alors : “Toi, mon ministre de la Guerre, tu ne sais pas tirer !” Autre passe-temps du sultan, jouer à s’électrocuter en compagnie de ses amis… Le reste du temps, il le passe à observer avec intérêt et amusement le labeur de l’horloger du palais – qui comptait plus de trois mille montres et pendules. Lui-même possédait “un chronomètre en or très compliqué et marquant les heures des différentes capitales du monde” qu’il gardait toujours en poche.

Gavin Maxwell, historien et auteur d’un ouvrage sur El Glaoui (Dernier seigneur de l’Atlas) dépeignant précisément le Maroc de l’époque, a cherché à analyser le caractère de Abdelaziz et son désintérêt pour la chose politique et militaire. Selon lui –ce n’est qu’une hypothèse, mais elle est confirmée par d’autres récits–, le sultan aurait volontairement été tenu à l’écart des affaires par ses plus proches conseillers, avides de pouvoir. Son caractère serait en fait une intrigue de palais, “une politique qui tendait à obnubiler complètement son esprit” pour reprendre ses mots. Abdelaziz n’avait que seize ans lorsqu’il succéda à son père Hassan I, en 1894. C’est dès ce moment, selon Maxwell, que Ahmed Ben Moussa, le chambellan, laissa exprès le jeune sultan dans l’ignorance des affaires publiques pour mieux s’en emparer. A la mort du chambellan —Abdelaziz a alors dix-neuf ans et peut légitimement exiger sa part de commandement—, “ses ministres n’eurent qu’une seule préoccupation commune : l’empêcher par tous les moyens de s’intéresser en quoi que ce soit aux affaires de l’Etat.” Maxwell, tirant ses conclusions ,nomma son chapitre consacré à Abdelaziz “Le roi enfant”.

Splendeurs et misères d’un monarque

L’excentricité de Abdelaziz déplaisait aux ouléma. A plusieurs reprises dans le récit de Veyre, on lit leur colère contre le sultan, parfois pour des raisons bénignes, comme lorsqu’il décida de repeindre en bleu les murs du palais – la tradition exigeant qu’ils soient  blancs. De là à affirmer que son excentricité a coûté son trône à Abdelaziz, il n’y a qu’un pas. Les pertes d’argent les plus importantes n’étaient pourtant pas dues à ses achats mais à la corruption des hauts fonctionnaires qui, dès qu’ils le pouvaient, empochaient des commissions et trafiquaient les comptes. Quant aux principaux griefs des tribus et des religieux à l’égard de Abdelaziz, ils concernent les accords multiples avec les puissances coloniales, particulièrement la France, qui menaçait l’indépendance du Maroc et sa timide politique réformatrice (changement du statut des caïds, réforme des impôts entre autres). Les deux sont d’ailleurs liés : c’est suite à une rébellion des tribus en réaction à des réformes que, pour la première fois en 1903, dépassé par les évènements, le sultan dut faire appel aux forces françaises pour mater l’insurrection. Officiellement, c’est pour contrecarrer l’influence étrangère au Maroc que le frère de Abdelaziz, Abdelhafid, prit les armes contre lui en 1907. Mais un journaliste français, Christian Houel, auteur de Mes aventures marocaines, rapporte ces propos de Abdelhafid, visiblement irrité par les frivolités du sultan : “Mon frère n’a pas rempli ses devoirs de chef des croyants. Il a contracté des emprunts qui n’ont pas servi à relever l’empire mais à satisfaire ses plaisirs.” Le portrait que Houel dresse de Abdelhafid contraste avec celui de Abdelaziz : il s’adonnait à des passe-temps bien plus classiques pour un homme de pouvoir : échecs, chasse aux faucons et aux lévriers, “ce qui ne l’empêchait pas, écrit le journaliste, de songer aux affaires sérieuses.” L’historien marocain Abdallah Laroui décrit aussi, dans un de ses ouvrages, un homme très pieux, sévère, au fait des polémiques religieuses comme de la politique européenne. Après s’être attaché l’alliance du puissant Glaoui de Marrakech, Abdelhafid l’emporte sur les troupes du sultan. En 1908, Abdelaziz est destitué. Il se retire à Tanger où il finit sa vie dans l’anonymat le plus complet.

Source : Tel Quel

Ayyur rend hommage aux résistants amazighs à Bougafer (1933)

26 vendredi Oct 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire, Sud-Est

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Ait Atta, Ayyur, Bougafer, Bugafer, chanson amazighe engagée, culture amazighe, lhoussain Azergui, Saghro, Saghru, Tabesbast, Tinghir


Texte en langue amazighe :

Awid tin winna izrin nnalen afaten
G Bugafer, daten d-i-kettig yaγ-i ka
Awid tin winna izrin iṭṭfen ti-
εẓẓitt kin titi s ggiḍ  i-ula ussan
Da ggaren lbarud g iskawen n  wudaden
Kkan anẓar, uten lalijuten aγen-nn akal

Acengu iga-asd uṛumy tiγurdin inγa-γ arraw
Sakkand lkuṛṛ igenna ula akal
Dad iggar ijeεba ṭṭiqsen γifi
Igad wa γif ad aγ ikkes iẓuran
Aydd arba imced-day way lulan
Tunγasen mma-nnes ira-ad iṭṭed ur-t akw ufin

Ayedd iγrem d ireḥbiyen itca wafa
Ayedd iysan, ayedd imnayen ddan-aγ
Awa mer ufiγ add uγulen ad isinn
Wanna γ-ttit imdin yusy-aγ akal

A winn iṭṭfen tigelditt yaγ-i ka
Amuttel isul ad awen ikjem s axam
Gan ur tebbin adγu γif-neγ sikkin
Neγra g tidda izrin sulent γifi

Gren i-umata isergwal inγa-yi wul
Unna ur nγin ibniqn as-t-ttawin
Mer-idd ku yan ar d-ikkat nil-as
S uyenna s yufa qqad aγ iḥlu waḍu
Taymat ku yan ar d-ikkat nil-as
S uyenna s yufa ad aγ ikkes ukarif.

Adaptation :

Parlez-moi de nos grands-pères,
Qui avaient fait face au feu à Bugafer,
Rien que leur souvenir me rend malade.
 
Parlez-moi des courageux qui avaient combattu
Bravé la pluie et vaincu les légionnaires,
Malgré leur armement si modeste.
 
L’ennemi, aidé par les Français, a tué nos enfants
Le plomb pleuvait de partout, les avions bombardaient aussi,
Ils avaient l’intention de nous exterminer.
 
Enfants et femmes n’ont pas été épargnés,
Nombreux sont les villages détruits,
Nous avons perdu tant de cavaliers et de montures.
 
Ô, si nos ancêtres pouvaient revenir rien qu’un instant
Et voir ceux qui nous ont trahis,
Voler et piller nos terres.
 
Je m’adresse à ceux qui sont au pouvoir
Soyez maudits à jamais
Nous n’oublierons jamais ce qui s’était passé.
 
Le malheur nous accable,
Mon cœur souffre, mes frères sont toujours enchaînés
Ceux qui ont échappé à la mort sont emprisonnés.
 
Mes frères,
Intensifions notre lutte
Pour que nos chaînes se brisent.
 
Adaptation : Lhoussain Azergui
(Cette adaptation est un premier jet que je souhaitais partager avec les lecteurs. Toute  remarque ou proposition est la bienvenue. Merci)
 
Plus d’infos sur cet artiste cliquez ici et ici:

Vers la création d’un site consacré à la résistance amazighe

18 samedi Août 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire, Rif, Sud-Est

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Ait Merghad, Bougafer, Bugafer, Ghéris, Goulmima, Oubaslam, résistance des Aït Atta, Saghru, Tinejdad, Tinghir, Zayd Ouhamd, Zayd U-Hmad


Depuis sa création en juin 2011, ce blog a enregistré plus de 7 000 visites. Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à faire connaître ce blog consacré au résistant amazigh Zayd U Hmad Oumakhdach. Dans le but de mieux faire connaître la résistance des Imazighen contre la pénétration française et permettre plus de confort (côté navigation) à nos lecteurs, nous avons décidé de créer un grand site qui sera consacré à ce sujet. Nous comptons toujours sur vos participations (articles, photos, vidéos …).

Nous faisons appel à vous pour nous aider à trouver un nom de domaine facile à mémoriser. Parmi les noms proposés pour le moment : « résistanceamazighe », « mémoireamazighe » et « notremémoire ».

DOCUMENT/ARCHIVES DE L’ARMÉE FRANÇAISE : L’emploi de l’aviation au cours de la guerre du Rif, mai 1926

13 lundi Août 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire, Rif

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Gaz toxiques contre le Rif, guerre de Rif, résistance rifaine, Rif, Rif Libre


Mai 1926. La révolte des tribus rifaines dure depuis cinq ans déjà. Face au pouvoir du Sultan marocain, soutenu au sud par l’administration coloniale française, et au nord par l’Espagne, Mohammed Ben Abd El Krim al Khatabi a entrepris à partir de 1921 le rassemblement des différentes tribus berbères du massif montagneux. Son projet est d’ériger une république indépendante du Rif. Après avoir chassé du Maroc la majorité des forces espagnoles, Abd-El-Krim se retourne, à partir d’avril 1925, vers le sud et la zone française. Les Rifains remportent alors de fulgurants succès contre les postes français, avant de tourner leur attention vers les villes de Taza et de Fez qu’ils approchent au cours de l’été. Pour les quelques garnisons françaises encore en place, la situation devient vite dramatique, et certaines préfèrent se faire sauter plutôt que de tomber entre les mains des Rifains.

Ordre d’opération

Les troupes françaises se rétablissent cependant in extremis, grâce à des actions désespérées dans laquelle l’aviation joue un rôle de tout premier ordre. L’arrivée des pluies puis de la saison hivernale bloque la poursuite des opérations et le remplacement du maréchal Lyautey par le maréchal Pétain incite Paris à attendre le printemps suivant et la collaboration des Espagnols avant de reprendre l’initiative militaire. Pétain abandonne alors la stratégie des colonnes volantes adoptée jusqu’ici par Lyautey, au profit de groupements tactiques interarmes qui lui permettent d’appliquer efficacement le principe de concentration des efforts…

Victimes des gaz toxiques dans le Rif

Déclenchée le 8 mai 1926, l’offensive franco-espagnole vise directement la capture d’Abd-el-Krim et rassemble du côté français six divisions et dix-sept escadrilles.

Ces unités aériennes appartiennent toutes au 37e régiment d’aviation (RA) et sont placées sous le commandement du colonel Paul Armengaud. Anciennement numérotées Vr 551 et F. 553, les 1ère et 4ème escadrilles du régiment sont équipées, comme la plupart des autres escadrilles, du biplan biplace Breguet 14A2, un appareil particulièrement robuste et polyvalent. En vue de l’offensive de mai, ces deux escadrilles sont détachées du 37e RA au profit du groupement tactique Dufieux, dont elles constituent le 1er groupe d’aviation, sous les ordres du commandant Blaize. Si l’état-major du groupe d’aviation demeure à Fez, la 1/37 est basée, elle, à l’est sur le terrain avancé d’Ain Aicha, tandis que la 4/37 stationne, plus à l’ouest, sur la plate-forme de Beni Malek. Une troisième escadrille est placée en réserve à Fez.

Ce document est conservé au Service historique de la défense (SHD/Paris) dans les archives de l’armée de l’Air, sous la cote 2 C 36. 

LU POUR VOUS : Comment le Maroc a été vendu ?

08 mercredi Août 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire

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comment le Maroc a été vendu, protectorat, résistance amazighe


Le protectorat n’a pas commencé en 1912, mais dès 1830. Endettés, menacés, dépassés, les sultans ont préféré brader le royaume plutôt qu’abandonner le trône. Enquête sur les secrets financiers et les intrigues politiques qui ont conduit le pays à la plus grande humiliation de son histoire. 

Le sultan alaouite trinque avec ses alliés français alors que les Imazighens subissaient le génocide dans les Atlas.

Il est a priori facile de dater l’histoire du protectorat : 1912 – 1956. Mais ce n’est qu’une apparence, une vitrine officielle. En réalité, l’histoire est plus longue et beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le croire. Quand, exactement, tout a-t-il commencé ? La réponse dépend des écoles. Politiquement, comme on peut le lire chez Abdellah Laroui, “l’Etat marocain a cessé d’exister à partir de 1880” (in L’Histoire du Maghreb), c’est-à-dire au moment où un rendez-vous important, la conférence de Madrid, a placé le royaume sous contrôle international. Militairement, le pays s’est effondré dès 1844, au lendemain de la bataille d’Isly. Economiquement, il a subi des récessions de plus en plus fortes tout au long du 19ème siècle.
Alors, quelle date retenir ? Consensuellement, la plupart des historiens s’accordent sur l’importance symbolique de l’année 1830. “C’est là, avec l’arrivée de la France en Algérie, que l’histoire marocaine a définitivement basculé”, résume le chercheur Mustapha Bouaziz. L’irruption brutale de l’Europe et de son cortège de valeurs agressives (ses armées, ses politiques, son système économique) a plongé le Maroc dans une sorte de purgatoire. C’est l’année où le compte à rebours devant aboutir à un protectorat en bonne et due forme est enclenché.

Quand le vent du nord a soufflé
Nous sommes donc en 1830, en plein cœur de ce siècle où la face du monde est en train de changer. Pendant que la révolution industrielle (chemins de fer, réseaux routiers, exploitation des sous-sols, développement maritime, matériel de guerre, etc.) et la croissance économique gagnent le monde occidental à toute vitesse, le Maroc vit en autarcie, fermé, jalousement replié sur lui-même. De l’intérieur, le pays bouillonne, soumis aux soubresauts d’une folle instabilité politique. L’anarchie régnante fait ressembler l’ancien empire à un homme au bord de la crise de nerfs. Les sultans se succèdent à un rythme frénétique. En un siècle, depuis la mort de Moulay Ismaïl, le pays a connu pas moins de 20 règnes. Certains sultans n’ont régné que quelques mois à peine, alors que d’autres ont pu, à la faveur de coups d’Etat et de renversements d’alliances, abdiquer avant de retrouver leur trône plusieurs années plus tard : à lui seul, le sultan Abdallah II a ainsi accumulé six règnes intercalés d’autant d’intermèdes.
Le pays est globalement coupé en deux : le bled Makhzen (plaines, ports, grandes villes) soumis à l’autorité du sultan, et le bled siba (montagnes) dissident. Les frontières entre les deux Maroc fluctuent selon la fréquence et la portée des harkas, les expéditions punitives menées par le sultan en personne.
L’organisation de la vie sociale repose sur des règles héritées du Moyen-Age. Agriculture, élevage et artisanat constituent l’essentiel de l’activité économique. Le volume du commerce interne est faible du fait de la difficulté du transport : les routes sont inexistantes et l’insécurité est telle que le pays ressemble à un ensemble d’enclaves. Les déplacements sont lents, coûteux et extrêmement dangereux. Les villes fonctionnent pratiquement sous un régime d’autonomie alimentaire et la campagne est contrôlée par les tribus locales. La vie sociale est par ailleurs rythmée par les cycles de famines et d’épidémies. L’enseignement est réduit à sa plus simple expression (le religieux) et reste confiné dans les médersas-mosquées. Et il n’existe d’autre médecine que la traditionnelle, à base d’herbes et de produits-miracles.

L’Etat, c’est le sultan
Et l’Etat dans tout cela ? Il existe, bien sûr, mais dans une configuration très éloignée des schémas alors en vogue de l’autre côté de la Méditerranée. Du hajib-chambellan au vizir de la mer (équivalent d’un ministre des Affaires étrangères), en passant par l’amine des oumana (ministre des Finances) et le wazir chikayate (ministre de la Justice), tous ont leurs bniqas-bureaux à l’intérieur du palais. Ce qui ne laisse guère de place au doute quant à la nature du système politique. L’Etat, c’est le sultan. C’est lui qui convoque ministres et conseillers à tour de rôle, rarement ensemble, c’est lui aussi qui nomme et contrôle ses représentants dans le pays profond, les caïds et pachas. Bien entendu, l’amalgame Etat-Sultan a une terrible conséquence : quand le roi mène bataille loin de son palais, c’est-à-dire la moitié de son temps, c’est pratiquement tout l’Etat qui est en berne et l’ensemble du pays est alors livré à lui-même.
On en vient à un autre point important, qui explique à lui seul l’extrême vulnérabilité du royaume chérifien : l’armée. En dehors de factions traditionnellement fidèles (les Boukhara, les Oudaïa, etc.), l’essentiel des troupes est fourni par ce qu’on peut appeler des “intermittents de la guerre” : des combattants occasionnels qui peuvent prendre part à une harka avant de rentrer, à la fin de l’expédition, dans leurs tribus respectives.
On comprend dès lors que cette armée, à l’état de forme aléatoire, à la motivation incertaine et aux effectifs si fluctuants, ait perdu pratiquement toutes les batailles dans lesquelles elle s’est engagée durant le 19ème siècle.

Les pauvres payent pour les riches
Examinons à présent le nerf de la guerre : l’argent. On verra là aussi comment l’organisation du “système financier” du royaume a été à l’origine de son asphyxie et l’a mené tout droit à la mise sous protectorat.
Avec un sous-sol riche mais largement inexploité (sel gemme, cuivre), les principales ressources se réduisent aux impôts et aux droits de douane aux ports. Entre le Makss, le Ma’ouna, la Naïba, la N’foula et la Jiziya, les droits et impôts sont si nombreux qu’ils constituent la première source de soulèvement populaire. En dehors de certaines corporations (les tanneurs à Fès), il n’existe aucun syndicat et aucun moyen de contrer l’arbitraire. La dissidence devient la règle. Un citoyen ou une tribu en colère, c’est un petit Maroc, un de plus, qui bascule dans le bled siba et constitue une nouvelle poche de résistance à l’autorité du “gouvernement” central.
Le phénomène est d’autant plus fréquent que les impôts ne sont ni généralisés ni équitablement répartis. Les Chorfa, tribus alliées et fidèles du sultan, en somme une partie de la bourgeoisie locale, en sont exonérées. Le schéma tient du cliché, ou presque : les pauvres payent pour les riches. Mais, comme nous le rappelle le chercheur Mustapha Bouaziz, “même les riches risquent à tout moment de perdre leurs biens s’ils en viennent à provoquer un coup de sang du sultan”.
La pratique de l’imposition fonctionne au mieux comme une caisse de compensation, au pire comme un gigantesque racket légal. Quand les villes, jadis florissantes grâce au commerce caravanier, sont asphyxiées par le déferlement des vagues européennes, le Makhzen se tourne vers la campagne, déjà pauvre, pour rançonner les tribus via de nouveaux impôts. On imagine aisément le climat social d’alors, avec des ports accrochés aux pieds de l’Europe et une campagne au bord de l’insurrection générale.

Un seul objectif : gagner du temps
Dans ce Maroc qui ressemble furieusement à une bombe à retardement, le commerce extérieur et les activités d’import-export restent une fenêtre intéressante. Probablement la seule. Mais elle est menacée par deux phénomènes récurrents : le monopole du sultan et la protection accordée aux intérêts européens. Le monopole sultanien (les négociants doivent s’affranchir d’un dahir d’agrément-délégation signé par le sultan et ne peuvent léguer aucun des biens accumulés) est un moyen de contrôler l’enrichissement des sujets marocains. “Le sultan accorde plus facilement ses agréments aux juifs au détriment des musulmans. A ses yeux, les juifs ne constituent aucune menace politique et peuvent par conséquent accumuler plus de richesses”, analyse Mustapha Bouaziz.
La protection accordée aux Européens, d’abord aux commerçants britanniques et français, ensuite à l’ensemble des pays occidentaux, crée une interminable série de désordres : l’exonération des taxes et impôts réduit considérablement les recettes de l’Etat, l’arrivée massive des produits européens tue l’embryon d’industrie locale et dévalue la monnaie nationale. Sans oublier que la protection étendue aux employés et aux relations marocaines de ces mêmes Européens est au final un sauf-conduit qui offre à des milliers de sujets la possibilité d’échapper financièrement, et même juridiquement, à l’autorité du sultan.
Les rois qui se sont succédé tout au long du 19ème siècle ont tenté, chacun à sa manière et avec des fortunes diverses, de circonscrire le mal. Menacés tant par la dissidence locale que par les incursions étrangères, obligés de se débrouiller avec un système économique en instance de mort, ils ont surtout cherché à jouer la montre. Le contexte international les y aidés. Parce que l’Europe a longtemps hésité entre deux attitudes possibles : la méthode anglaise faite d’une politique dite des comptoirs, privilégiant exclusivement les intérêts commerciaux, et la méthode française plus “volontariste” (occupation en douceur, à coups de fortifications militaires, de pénétration institutionnelle et de mainmise économique). Sans oublier la méthode espagnole, belliqueuse voire simplement brutale.

Colonisation, mode d’emploi
Ce Maroc exsangue, en pagaille, complètement désarticulé, incapable de se remettre en ordre de marche, a formidablement aiguisé l’appétit de ses voisins européens, voire de tout le monde occidental. Ce n’est pas pour rien que, au moment de débattre du “problème marocain” à Madrid, douze pays occidentaux, un total impressionnant, sont représentés. A côté des voisins immédiats que sont la France et l’Espagne, on retrouve des pays comme l’Autriche, la Norvège, l’Italie et même les lointains Etats-Unis. Tous se sont pressés à Madrid pour se partager au mieux le gâteau marocain. Le Maroc, premier concerné, est pour l’anecdote, sous-représenté et arrive, le jour J, sans aucune proposition concrète, prêt à ratifier ce que les puissances étrangères lui auront proposé. L’historien Henri Terrasse écrit à ce propos : “Les Belges fondaient au Maroc des entreprises économiques, les Etats-Unis pensaient à se faire céder l’îlot de Perejil (ndlr, le même qui a provoqué la violente crise Maroc-Espagne plus d’un siècle plus tard, en 2002), l’Allemagne commençait par financer les explorations de Rohlfs et de Lenz et, sous couleur d’un établissement pacifique, projetait d’augmenter sa place au Maroc (in Histoire du Maroc)”.
Classiquement, la pénétration européenne a fait appel à trois instruments. L’exploration sociologique via des missions d’explorateurs (Eugène Delacroix, Pierre Loti, etc.), d’abord dans le nord et le long des côtes, ensuite dans le pays profond, a permis d’établir une radioscopie aussi fidèle que possible de la société marocaine. La suprématie économique a permis de créer un nouvel ordre local et d’assujettir le royaume à un consortium de banques européennes. Et les frappes militaires ont détruit les quelques foyers de résistance et fait entendre raison aux sultans.
Le malheur du royaume a été que sa décadence a coïncidé, dans le temps, avec l’émergence d’une nouvelle idéologie : le colonialisme. C’est la tendance lourde de l’époque. Au point que même un intellectuel au-dessus de tout soupçon, comme le poète Victor Hugo, se fend d’une phrase restée célèbre : “Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires”.
Le nouveau livre de Ali Benhaddou, L’Empire des sultans, qui vient d’être publié aux éditions Riveneuve, regorge de perles colonialistes. En plus de Hugo, l’auteur cite l’étonnant docteur Mauran, théoricien des races : “Si l’on trouve souvent le type du Maure pur, teint mat, nez busqué, œil noir et vif, barbe légèrement frisottante, dents grandes et espacées, haute taille, race de proie par excellence, il y a, à côté, des types qui déroutent et qui prouvent le croisement, l’abâtardissement de la race primitive, types indécis, épais et lourds, mulâtres à tous les degrés”. Le même Mauran, décidément intarissable, explique par ailleurs le malaise de “l’indigène” face à la modernité : “Ils sont encore loin de nous, loin comme ce passé qui les enserre d’un réseau atavique. Beaucoup ont voyagé et connaissent Marseille, Londres, Paris, l’Egypte. Dans l’étonnement où les plongea le spectacle de notre vie moderne, il entrait bien un peu de superstitieuse terreur et, quand nous les invitons à entrer dans la voie du progrès et de la civilisation, ils ont le vertige comme devant un gouffre insondable où ils craignent de sombrer corps et biens”. Les frères Tharaud, qui ont longtemps figuré parmi les conseillers du maréchal Lyautey, ne font pas dans la dentelle quand ils livrent à leur tour leur vision des Marocains : “Orgueilleux, fanatiques, corrompus, corrupteurs, jaloux les uns des autres, toujours prompts à la critique et peu enclins à reconnaître les services qu’on a pu leur rendre. Ce qu’ils font aujourd’hui est tout pareil à ce qu’ils faisaient hier. Beaucoup de luxe, aucune invention, trop paresseux pour conserver, trop peu doués pour inventer”.

France-Espagne : deux gendarmes pour le royaume
Si le vent du colonialisme a emporté des gens raisonnables et de brillants esprits humanistes, donnant lieu à d’épouvantables théories sur l’inégalité des races, c’est qu’il s’est toujours drapé d’une mission civilisatrice. Coloniser, c’est (se) développer. Le concept relève de la doctrine nationale dans tous les pays d’Europe nouvellement industrialisés. Pour faire passer la pilule aux rares récalcitrants, l’idée est alors d’exagérer les traits de la future colonie, dépeinte comme un pays riche mais inexploité, dominé par des barbares sans foi ni loi. La recette fonctionne et l’opinion publique épouse les vues de ses dirigeants.

Après avoir longtemps buté sur le veto de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, la France et l’Espagne profitent de l’internationalisation du problème marocain pour occuper définitivement le terrain. Le fruit chérifien est mûr, il menace de tomber à tout moment en cette fin de 19ème siècle. Les sultans ont accumulé suffisamment de dettes auprès des banques européennes : pour payer les tributs de guerres perdues, compenser l’assèchement de la manne fiscale… et maintenir leur train de vie fastueux (Moulay Abdelaziz, qui a régné entre 1894 et 1908, a même établi des records de dépenses inutiles). La faillite économique justifie à elle seule la mise sous scellés de l’administration marocaine.
La France et l’Espagne se partagent logiquement le royaume dans une sorte de concession-délégation offerte par l’ensemble des puissances occidentales. Si l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont fini par abdiquer au profit de leurs deux voisins du sud, c’est avec la garantie que la France et l’Espagne sécurisent les circuits commerciaux sur le sol marocain. En somme : un Maroc développé, doté de routes sûres et de moyens de transport modernes, est le moyen le plus sûr d’offrir une plus-value économique tant convoitée par les Européens.
C’est ce schéma qui a conduit le Maroc, après plusieurs siècles d’indépendance, à capituler officiellement en 1912. Déjà à terre, les mains et les pieds ligotés, le double protectorat qui lui est imposé apparaît même, comble de l’ironie, comme le seul moyen de le “sauver”.

 

Paroles de sultan. “Je veux aller me reposer en France…”

Sur les circonstances entourant la signature, par Moulay Hafid, du traité de protectorat, Ali Benhaddou rapporte, dans L’empire des sultans, deux anecdotes croustillantes.
“Moulay Hafid, le traditionaliste, est profondément secoué. Arrivé au pouvoir comme symbole de la résistance aux étrangers, il ne peut admettre d’être le sultan des Français. Obsédé par cette pensée morose, il interroge son interprète et conseiller diplomatique, Kaddour ben Ghabrit, érudit, compétent, grand serviteur de la France, futur directeur de l’Institut musulman de Paris :

• Pourquoi les Français restent-ils sur la côte marocaine ?

• Pour maintenir l’ordre et la sécurité, lui répond-il.

• Je comprenais cela au temps de mon frère qui était un souverain sans force, mais moi, je suis capable tout seul de maintenir l’ordre dans mon Etat.

• Les Français se rendront bien compte qu’il ne s’agit que d’une occupation provisoire, ajoute le conseiller.

Moulay Hafid le regarde longtemps, hoche la tête et dit :

• Quand Allah a créé la Terre, il a dit aussi que cette création était provisoire !

Gagné par le scepticisme, soumis à de fortes pressions, Moulay Hafid proteste d’abord, menace d’abdiquer, puis, dans la matinée du 30 mars 1912, finit par signer le Traité de protectorat. Le dernier jour de son règne, il déclare, résigné : “Je voudrais bien aller en France pour retrouver la paix et la sérénité”. Ce qui fut fait sur-le-champ”.

 

Chrono. Les dates-clés

• 1830. la France occupe l’Algérie et a du mal à cacher ses visées marocaines. Lyautey, architecte du protectorat, dira un jour : “Qu’on le veuille ou non, le Maroc est un brûlot aux flancs de l’Algérie et, à moins d’évacuer celle-ci, il faudra forcément y intervenir, car son anarchie a une répercussion étroite sur notre autorité et nos intérêts algériens”.

• 1844. Moulay Abderrahmane perd la bataille d’Isly contre la France. Seule la particularité du contexte international retarde, alors, l’occupation du pays. Mais les traités commerciaux se multiplient, ouvrant l’économie à la domination progressive de plusieurs puissances occidentales (Grande-Bretagne, France, Portugal, Espagne)

• 1845. Signature du traité de Lalla Maghnia, qui fixe les frontières maroco-algériennes. L’Algérie étant sous administration française, le royaume est dans la contrainte de céder une partie de son territoire oriental.

• 1851. C’est la famine au Maroc. Deux vaisseaux battant pavillon français mouillent dans le port de Salé. Ils sont chargés de blé et sont aussitôt pillés. La France bombarde Salé en représailles.

• 1860. Mohammed IV perd la bataille de Tétouan contre l’Espagne et fait appel à la Grande-Bretagne pour retarder une nouvelle fois l’occupation. Mais il est obligé, en retour, de payer un tribut à ses vainqueurs espagnols : une grande somme d’argent qu’il met deux ans à rassembler, un laps de temps durant lequel l’Espagne occupe et contrôle entièrement la région de Tétouan.

• 1880. Moulay Hassan 1er ratifie malgré lui les accords de la conférence de Madrid à laquelle douze puissances occidentales ont pris part. C’est le début du protectorat économique.

• 1902. Le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP, un géant de la banque, ancêtre de BNP Paribas) investit le Maroc, adossé à la Banque de Paris et des Pays-Bas. C’est tout le système financier du royaume qui change de visage, mais aussi de mains, passant des amines-comptables aux banquiers européens.

• Février 1912. Un mois avant l’officialisation du double protectorat franco-espagnol, les banques européennes fondent déjà la “Compagnie générale du Maroc”.

 

Une époque, un monde. Les révolutions du 19ème siècle

Deux événements majeurs ont marqué le monde au courant de ce siècle riche en bouleversements. La révolution industrielle et le colonialisme. Les deux sont étroitement liés puisque l’industrialisation de l’économie a rapidement créé une pénurie en matières premières qui a ouvert la porte à la conquête de nouveaux marchés, vierges de toute exploitation : les colonies. La Grande Bretagne a été, bien entendu, la pionnière en la matière, développant son économie et dominant le monde dès la fin du 18ème siècle. Elle a été suivie par le reste des puissances européennes tout au long du siècle suivant. Le colonialisme est alors apparu comme un débouché naturel, un besoin légitime. Pour la première fois dans l’histoire humaine, la croissance économique est devenue un moyen de conquête aussi sûr que la puissance militaire. Le Maroc, dans ce monde alors divisé en deux (les puissants et les colonisés), ne pouvait guère échapper à son sort. Il a rejoint, après une lente descente aux enfers, le long peloton des dominés. Quant au caractère tardif de la colonisation, il tient plus du miracle (les interminables querelles entre les puissances européennes sur le partage du “gâteau” chérifien) que d’une quelconque résistance interne.

 

Sélection. La biblio idéale

Charles de Foucauld (Reconnaissance du Maroc, 1888)

  •  Pierre Loti (Au Maroc, 1890)
  •  Charles-André Julien (Histoire de l’Afrique du Nord, 1931)
  • André Maurois (Lyautey, 1935)
  • Henri Terrasse (Histoire du Maroc, 1949)
  • Brahim Boutaleb (Maâlamat Al-Maghrib et Histoire du Maroc, 1967)
  • Abdellah Laroui (L’histoire du Maghreb, 1970, et Les Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain, 1977)
  • Germain Ayache (Etudes sur l’histoire du Maroc, 1979)
  • Mustapha Bouaziz (Les nationalistes marocains au 20ème siècle, Chapitre 1, thèse de doctorat, 2010)
  • Ali Benhaddou (L’Empire des sultans, chapitres 1 et 2, 2010)

Source : Tel Quel

Thami El Glaoui humilié par Mohammed V. La vidéo :

11 mercredi Juil 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire, Sud-Est

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Baddou, Dades, Gavin Maxwell, Mohamed V, Ouarzazat, Saghru, Sud-est du Maroc, Thami El Glaoui, Tinejdad, Tinghir


Novembre 1955, Mohamed V accepte de recevoir Thami El Glaoui en audience, mais il l’humilie. « Pour la première fois de sa vie, le pacha de Marrakech doit faire antichambre pendant une heure entière. Après avoir ôté ses souliers, Thami pénétra seul dans le salon où Mohammed V était assis sur un canapé. Il se mit à genoux, avança dans cette position jusqu’aux pieds du sultan, puis se prosterna le visage contre terre. D’une voix à peine perceptible, il supplia le sultan d’accorder sa miséricorde à un pauvre homme qui s’était écarté du droit chemin. On aida Thami à se relever, et il sortit à reculons, en chancelant ».

Gavin Maxwell dans son livre « El Glaoui, dernier seigneur de l’Atlas (1893-1956) »

La scène décrite en vidéo :

DOCUMENT : LA FIN DE LA DISSIDENCE DANS LE HAUT ATLAS, LE COMBAT DU TAZIGZAOUT (20 août – 10 septembre 1932)

04 lundi Juin 2012

Posted by zayd U-Hmad in Histoire

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Ait Atta, El Mekki, Maroc, Protectorat Français, résistance berbère, Sud-est, Tazegzawt, Tazizaout


Nous publions ci-après le témoignage inédit du Docteur Serre avec l’aimable autorisation de Mr. Francis Boulbés (N’hésitez pas à visiter son site), auquel Mme Jacqueline Serre, veuve du médecin, a confié ce document d’une grande importance historique. Docteur Serre est arrivé au Maroc pour effectuer son service militaire en 1931, il y restera jusqu’à «l’indépendance». Le Docteur avait fondé entre autres l’hôpital de Khénifra dans le Moyen Atlas. Il raconte dans ce témoignage la terrible bataille de Tazegzawt (prononcé aussi : Tazizaout), Haut Atlas Oriental, en 1932. Récit : 

Tazegzawt

Nommé médecin d’un bataillon de Tirailleurs Algériens pour la phase finale des opérations, je rejoins cette unité au Tizi n’Ighil, prolongement ouest de l’Ighil ou Abari, à près de 3.000m d’altitude, le 20 août 1932.

Jusque là, nous ne nous sommes heurtés qu’à des éléments locaux ; il ne va plus en être de même car nous aurons affaire, non seulement aux tribus voisines, mais aussi à la masse des irréductibles, qui depuis seize ans recule devant nous, refusant de se soumettre. Ils appartiennent à toutes les tribus du Moyen Atlas. On dit qu’ils sont vingt mille, puissamment armés, pourvus de beaucoup de munitions, et résolus.

Ils se sont réfugiés dans le massif boisé du Tazigzaout, en face de nous, de l’autre côté de la vallée de l’oued Agheddou, dont nous occupons le sommet du versant nord, et dans les vallées qui convergent à son extrémité ouest. Au-delà, vers le sud, c’est le plateau des lacs, à 3.000m d’altitude : de la pierraille, pas un arbre, une herbe rare. Au-delà encore, en dehors des rives des oueds, ce ne sont que pentes arides, sans pâturages ni cultures, puis vient le désert. La forêt et les bons pâturages se terminent sous nos yeux, sur les pentes du Tazigzaout. Les dissidents ne peuvent aller plus loin.
Nous dominons un paysage alpestre, tourmenté, fait de gorges, de croupes, de ravines, de sommets aigus et boisé de cèdres et de chênes verts.
Les troupes de notre groupement se rassemblent sur le plateau de Tamedarkane, protubérance ouest du Tizi n’Ighil. Cette fois, il s’agit d’une opération importante qui mettra en ligne deux groupements de la Région de Meknès et ceux du Territoire du Tadla. Les partisans qui coopèrent avec les forces régulières du Tadla sont les Zaïan, guerriers redoutables. Le caïd Amaroq les commande. Nous devons achever d’encercler les dissidents et les forcer à se soumettre.

Tombe d’un résistant sur le mont de Tazegzawt, Photo : Michael Peyron

Le premier groupement de la Région de Meknès, sous les ordres du colonel Richert, fort de trois bataillons, vient de prendre pied, sans coup férir, sur la falaise qui couronne le Tazigzaout. Les trois goums de Tounfite, commandés par le capitaine Parlange, les tirailleurs algériens et une batterie d’artillerie constitueront l’avant-garde du nôtre. Deux autres bataillons nous suivront.

Le Tamederkane est une série de plateaux étagés, coupés de gorges, qui se termine au sud-ouest, à Tazra, par un rocher vertical, au-dessus du confluent de l’oued Agheddou et d’autres petits torrents, devant l’extrémité du Tazigzaout. Ce sera notre objectif. Pour y parvenir, il faudra décrire un grand arc de cercle, dans un terrain accidenté et boisé.

De notre campement, nous voyons à la jumelle ce qui se passe sur l’autre versant, chez les dissidents. Leurs troupeaux sont nombreux. Nous en comptons au moins quarante qui paissent sur un plateau dénudé. Il y a des chameaux, des chevaux, des vaches et beaucoup de moutons. Sur une croupe se tient un aréopage d’une centaine d’hommes assis en rond. Conseil de guerre, prière collective, ou réunion de sages pour discuter des intérêts des tribus ? Qui le saura ? Nous allons troubler cette paix.

21 août – Il fait froid, il a un peu plu, j’ai quand même bien dormi sur mon tapis. A midi, nous apprenons que le départ pour Tazra aura lieu ce soir, à neuf heures. Pourquoi ce départ en pleine nuit, dans une montagne dangereuse, que personne ne connaît et dépourvue de chemins ? Qu’adviendra-t-il si les dissidents l’occupent ?  A trois heures du matin donc, nous partons pour Tazra. Sentier difficile. Mes muletiers sont moins consciencieux que ceux que j’avais à Anefgou et je dois me tenir au-dessus des passages dangereux pour stimuler leur attention. Nous avançons par bonds, accompagnés d’une fusillade sporadique qui ne fait que du bruit. Fusillade et canonnade aussi depuis les autres postes. Du bruit, rien que du bruit. En traversant une mechta abandonnée, je trouve un poulet abandonné par ses maîtres . Qu’il est maigre ! Il sera quand même le bienvenu ce soir, car l’ordinaire laisse terriblement à désirer.

Les deux bataillons qui nous suivent nous quittent en cours de route pour occuper les positions intermédiaires. Le commandant choisit l’emplacement de notre bivouac sur une croupe à côté de Tazra ; mais sa face ouest est un peu vulnérable, quoique dominée d’assez loin. C’est ce que l’endroit nous offre de mieux. Aussitôt, malgré la fatigue, tous travaillent. Les uns déboisent, les autres font des murettes ou creusent des abris. Lorsque, épuisés, nous nous couchons, il y a beaucoup plus qu’un embryon de défense ; déjà nous sommes en mesure de parer à une surprise. Je passe la nuit dans un abri, avec des officiers du goum, couché contre le capitaine Parlange. Il pleut à nouveau. Notre unique toile de tente est trop petite et nous protège mal . Au matin, je me trouve allongé dans une flaque d’eau.

Le lendemain, à l’exception du 5° commandé par le lieutenant Barrou, les goumiers nous quitteront.

23 août – Journée d’aménagement et d’installation, sans incident notable. Nos artilleurs bombardent avec succès le campement d’un chef dissident qu’on leur a signalé. Quand donc aura lieu la fameuse opération concertée qui doit liquider cette tâche dissidente, et pour laquelle nous sommes ici ?

17 heures. Les ordres viennent d’arriver. Demain, selon le plan prévu, attaque sur tout le front. Enfin ça y est !

A l’aube, notre bataillon se portera à l’extrémité du promontoire de Tazra, prolongement sud de la crête où nous campons. Point clef s’il en fut, car celui qui tient Tazra dispose sur la dissidence d’un observatoire hors pair. Il est là au cœur de cette dernière. Il surplombe le confluent de l’oued Agheddou et toutes les vallées qui y aboutissent.Surtout, il voit la grande vallée du Tazigzaout, boulevard et forum de la dissidence, comme dans un livre ouvert devant ses yeux. Les dissidents ne pourront pas ne pas tenter l’impossible pour nous chasser de cet observatoire.

Ce sera une opération un peu risquée car nous serons en flèche. Seul un sentier nous relie à travers bois et ravins au poste le plus proche, à trois kilomètres à l’est. Les dissidents peuvent nous l’interdire. Derrière nous, au nord, des bois non occupés. Au sud-ouest et au sud-est, les dissidents.
Pour que l’opération réussisse, il faudra que tous les groupements s’engagent à fond. Souhaitons qu’il en soit ainsi.

Je donne mes instructions pour le lendemain. Le bivouac étant près de Tazra et restant occupé par une compagnie qui protègera nos arrières, inutile de s’encombrer. Quatre muletiers et deux mulets porteurs de cacolets, de litières et de quelques outils nous suivront. Les deux muletiers libres porteront les brancards, les infirmiers leur musette à pansements. Tout blessé sérieux sera immédiatement évacué sur le bivouac.

Le dîner est paisible. Le commandant nous parle de l’opération du lendemain. Après le dîner, je vais à la murette sud qu’on appelle le belvédère. Sur l’énorme carène renversée que figure le Tazigzaout, des feux scintillent comme des étoiles et font pendant à nos feux de bivouac. Ce sont, à moins de deux kilomètres, les feux des dissidents.

La nuit est calme. Du Tazigzaout des chants nous parviennent. Chants de guerre ou prières collectives ? C’est la veillée d’armes chez eux comme chez nous. Enfin, les chants cessent. On entend alors les chiens aboyer, les moutons bêler, les ânes braire ; il ne reste que l’impression d’un soir d’été dans la montagne.

Tazegzawt : L’érosion découvre des ossements (Michael Peyron)

24 août – Réveil discret. Surtout silence et pas de feu ! En hâte je m’habille et vais à mon poste de secours. Quelques coups de pied dans les piquets des petites tentes et dans les murettes réveillent tout le monde. En dix minutes nous sommes prêts.

Le 5° Goum sort le premier du camp. Le lieutenant Burron et ses sous-officiers en tête, ils descendent au sud et disparaissent dans les arbres.
Soudain, en bas à gauche, une fusillade. Le commandant sort, suivi de son bataillon. Des balles l’encadrent, d’autres tapent à ses pieds.
J’attends à la porte que les compagnies aient débouché pour sortir à mon tour. Rapidement, la fusillade s’éloigne. Nos éléments progressent en échelon dans ce terrain en escaliers. Nos mitrailleuses tirent, l’ennemi lâche pied.

5h1/2. Nous occupons entièrement la position de Tazra. En hâte on s’organise : les armes automatiques sont mises en batterie, les hommes font de petites murettes derrière lesquelles ils se couchent. Tous veillent attentivement et sont de bonne humeur. Nous bombardons au mortier et criblons de mitraille les crêtes les plus proches du Tazigzaout. Les dissidents ripostent. Ce combat à distance durera toute la matinée, sans dommage pour nous – et sans doute non plus pour l’adversaire…

Nous installons le poste de secours sous un gros arbre, dans un vallonnement. Seule une murette face à l’est est nécessaire. Par derrière, la pente nous protège. J’arrache de grosses pierres avec une pioche, les muletiers les portent, les infirmiers bâtissent. Nous transpirons abondamment. A huit heures, tout est fini. Notre abri pourrait contenir au moins dix blessés. Un soldat m’offre un quart de vin rouge que je bois d’un trait, puis je me couche en attendant les événements. Mais impossible de dormir : deux mortiers Brandt sont en batterie à côté de moi.

8h30 – Je vais aux nouvelles. Le groupement du colonel Richert qui devait avancer sur le sommet du Tazigzaout ne bouge pas. Par contre, nous voyons les dissidents monter en grand nombre sur une arête shisteuse face aux positions du Tadla, creuser des tranchées et faire des abris. Trop loin pour nos mitrailleuses. Par intermittence, les artilleurs du Tadla les arrosent de quelques fusants, sans succès.

Nos officiers veillent à ce que leurs hommes restent couchés. Ce n’est pas une précaution inutile. Le capitaine Michaux et moi étant allés nous appuyer contre un arbre pour regarder l’ennemi à la jumelle, sommes presque aussitôt encadrés. Nous nous abritons sans attendre la suite.

9h30 –  Une longue colonne descend des bivouacs du Tadla. Deux escadrilles bombardent avec des bombes de dix. Toutes les batteries du Tadla tirent. La montagne disparaît dans la fumée. Entre les retranchements ennemis et les postes du Tadla, ainsi que dans les gorges au sud du Tazigzaout, c’est un crépitement continu. De ce côté, l’attaque paraît déclenchée.

11h – Situation inchangée. Nous mangeons accroupis derrière nos murettes. Tout se calme du côté des groupes du Tadla.

12h – Nous essuyons une fusillade assez vive. Nos mortiers bombardent les coins d’où paraissent venir les coups. Le commandant demande par signaux s’il doit encore tenir cette position. « Opération reportée, retirez-vous prudemment » lui répond-on.

Quelques ennemis réussissent à s’infiltrer entre l’oued et notre rocher et à se glisser sur notre droite. La canonnade a cessé, seul le bivouac le plus proche tire par intermittence. En face de nous, au sommet du grand ravin du Tazigzaout, nous voyons des guerriers descendre par groupes de trois ou quatre, le fusil à la main. Ils se faufilent entre les chênes verts et les rochers. Nos rafales ne les arrêtent pas. Viennent-ils vers nous ?

Après avoir épuisé leurs derniers obus de mortiers, l’une après l’autre, les compagnies se retirent, se protégeant mutuellement de leurs feux. Le goum rentrera le dernier. D’instinct, nos regards se portent sur les crêtes boisées qui nous dominent à une certaine distance. Nous pressentons un danger de ce côté. Où sont passés les dissidents qui se glissaient sur notre droite ?

Bombardement

16h – Nous sommes presque tous rentrés. Encore quelques coups de fusil dans les petits ravins à l’est. Ce sont nos derniers éléments qui se replient.
Arrive un grand diable de tirailleur qui a reçu une balle dans le mollet, un cabochard, très aimé dans sa compagnie, mais qui fait toujours une sottise quand on veut le nommer caporal. J’ai du mal à le garder au poste de secours.

Le calme semble revenu. On envoie chevaux et mulets à l’abreuvoir et à la corvée d’eau. Le 5° Goum et une section qui travaille sur la piste protègeront leur retour. Un convoi de munitions escorté par un escadron de spahis est en route pour notre bivouac. En principe il sera là dans trois quarts d’heure. Le commandant l’attend avec impatience : on a tant tiré depuis trois jours que les munitions s’épuisent.

17h – Tout est calme, cette journée a l’air de bien finir, et je vais admirer le paysage sous un arbuste à trente mètres du parapet. Soudain une balle tape à mes pieds et fait sauter de la terre sur mes chaussures. Je me retire en plastronnant, car on me regarde. Un autre balle ricoche sur un rocher tout près de moi et va s’écraser sur au milieu des cuisiniers de la 11° compagnie. Il me semble avoir vu le tireur. Je saute sur un créneau, vite une jumelle et un fusil de 86 ! Gare à lui si je le vois encore. Des camarades s’approchent, prodigieusement intéressés. Heureusement pour l’honneur du corps médical, ce duel n’aura pas lieu, car au même instant, des balles arrivent de toutes parts.

–    Aux armes ! Aux armes !

Les tirailleurs se précipitent aux murettes. En un clin d’œil elles sont garnies de fusils, baïonnettes au canon. J’ai le temps de jeter un coup d’œil au télémètre et de voir une foule de dissidents qui, sans se cacher cette fois, descendent aussi vite qu’ils le peuvent, un fusil à la main. Ils crient, gesticulent, et les femmes crient comme des bêtes, sans discontinuer. La clameur emplit la montagne et impressionne nombre d’entre nous. C’est sauvage, primitif, nous ne l’entendrons sans doute plus jamais. Ces guerriers viennent vers nous en courant, allant au combat comme on va à la fête. Fanatisés comme ils le sont, mourir pour leur foi et leur liberté est une apothéose, ils se jettent dans l’assaut à corps perdu.

Les mitrailleuse du groupe sud tirent aussi vite qu’elles le peuvent sur le bas du grand ravin. Nous voyons des dissidents tourbillonner et tomber. D’autres les emportent. Mais cela ne ralentit pas d’une seconde la ruée de cette masse.

Le commandant, anxieux, se tient à la porte du bivouac et fouille à la jumelle la piste qui conduit au bivouac le plus proche. Là se trouve le convoi attendu, avec les munitions qui manquent, la corvée d’eau et tous les animaux du bivouac, le goum, et deux sections de son bataillon. Pourvu qu’ils rentrent tous avant l’arrivée des dissidents au-dessus de la piste !

Profitant des moindres replis du terrain, des bouquets de chênes verts qui par endroits nous empêchent de voir à plus de dix mètres de la murette, les dissidents se rapprochent à une rapidité prodigieuse, tout en nous soumettant à une fusillade de plus en plus nourrie.Ils parlent très fort, s’interpellent de loin comme des gens sûrs de la victoire, pour lesquels toute précaution est désormais inutile.

A faible distance derrière eux viennent les femmes. Elles ont apporté les bols de henné dont leurs mains sont teintes, et des couteaux. Echevelées, les vêtements en lambeaux, furies déchaînées, réfractaires à la peur, le visage barbouillé de boue, elles hurlent des imprécations et se griffent les joues afin que la vue du sang excite encore plus les combattants. On les aperçoit parfois à l’œil nu entre deux rochers, car elles ne se cachent pas. Si un homme recule, elles le saisiront et leurs mains le marqueront aussi sûrement qu’un fer rouge. Après le combat, toute la tribu saura qu’il a reculé devant l’ennemi. Quant aux couteaux, nous n’ignorons pas les mutilations que ces sauvagesses nous feront subir si nous tombons entre leurs mains.
Sans arrêt des balles sifflent et claquent autour de nous. Parfois un gros « ronron » marque le passage d’une de ces énormes balles de plomb tirées par les fusils à pierre, qui font dans les chairs des tous gros comme le poing.

Le vacarme est infernal. Les dissidents sont bien armés et, malgré nos énormes moyens, ils se rapprochent encore et font feu aussi vite qu’ils le peuvent.

Tous les gens valides du camp sont aux murettes, même les muletiers. On se bat pour sa peau. Il n’y a qu’une alternative : repousser les dissidents ou être tués. Les prisonniers sont suppliciés, tout le monde le sait ; les femmes ont été emmenées pour cet office.

–    Tiens, fils de chienne, attrape, lancent les tirailleurs, et les grenades volent.

–    Que Dieu te fasse brûler vif et rende aveugles ton père et ta mère, leur répond-on.

Des blessés arrivent ; blessures légères : certains repartent une fois pansés. Le premier tirailleur blessé veut retourner au combat : « Ah les maquereaux, les fils de pute, si au moins je pouvais en pendre un à un arbre et l’étriper… Toubib, laisse-moi partir ! » Je le laisse partir.

18h – La fusillade s’étend au nord, loin du bivouac. Un sergent a placé de ce côté deux mitrailleuses en batterie sur une crête, à l’abri de petits rochers, afin de protéger ceux qui doivent rentrer. Enfin les voilà ! Convoi de munitions, corvée d’eau, section d’escorte, goumiers… intacts. Le moral devient meilleur.

Deux tirailleurs en portent un autre dont les vêtements sont rouges de sang. Une balle a pénétré dans son côté droit, puis passant sur la face antérieure de sa colonne vertébrale, est ressortie par l’épaule gauche. Comment n’est-il pas mort sur le coup ? Cependant, il parle. On l’étend sur un brancard et on le couvre. Une sueur froide glace son visage, son pouls n’est déjà plus perceptible.

Le poste de secours se remplit : neuf blessés maintenant. Certains repartent une fois pansés. La murette nous protège admirablement : il s’agit pour la plupart de blessures légères, par ricochet. Nous travaillons accroupis. Une grosse balle de plomb vient s’écraser sur l’une des caisses médicales qui bordent notre abri.

La nuit tombe et soudain le combat redouble de violence. Les dissidents se rapprochent encore. Ils sont même si près que nous nous attendons à tout moment à les voir bondir à la murette pour attaquer au couteau, en masse. Mortiers, grenades, sans parler de la mousquetterie et des mitrailleuses, tout part en même temps. Les obus s’envolent dans un bruit de sirène et décrivent de grandes traînées rouges. Quelle débauche de munitions ! Pourrons-nous tenir longtemps ainsi ? Maintenant, tirailleurs et dissidents s’injurient et se fusillent presque à bout portant. En bas, sur le front de la 2° compagnie, on voit des hommes se dresser, tirer, lancer des grenades et recommencer. Personne ne mollit.

Bombardement

19h30 –  La fusillade se ralentit de part et d’autre. Nous sommes convaincus que les dissidents attendent que la nuit soit déjà avancée pour tenter un nouvel assaut. Les nôtres veillent. Parfois ils croient voir des fantômes approcher et le feu reprend.

–    Economisez vos munitions, ne tirez qu’à coup sûr, répètent les officiers.

Des dissidents chantent tout près de nous. On dirait une prière, une sorte de litanie que l’écho renvoie.Leurs femmes poussent de temps à autre des youyous suraigus, et la nuit amplifie les bruits.

–    On vous aura, chien de Roumis, aujourd’hui ou demain. On vous aura, crient-ils.

Et à l’adresse des tirailleurs :

–    Vendus aux Roumis, vous n’êtes plus des musulmans, vous êtes des traîtres, pire que des Juifs. Venez un peu vers nous, lâches !

Les blessés sont soigneusement couverts. On a administré des calmants au pauvre malheureux mortellement atteint. C’est hélas tout ce que nous pouvions faire pour lui.

Les canons du Tadla ouvrent un feu nourri sur le Tazigzaout et dans les ravins autour de notre bivouac. Cela sert-il à quelque chose ?

Dans le bivouac et aux alentours, les bruits cessent. Mais le Tazigzaout s’emplit alors d’une rumeur immense, qui nous parvient, tantôt forte, souveraine, tantôt faible, selon le vent. Les chiens hurlent à la mort. Que signifie cette rumeur ? Est-ce le ralliement de tous ceux qui vivent là-haut pour l’assaut suprême qu’ils vont nous livrer ? Ou bien sont-ce des cris de désespoir, des pleurs, des lamentations qui grandissent au fur et à mesure que sont connues les pertes subies ? De rares coups de feu trouent la nuit noire. Les nôtres ne tirent pas.

Nous avons l’impression que les dissidents se sont rassemblés face à notre front sud, très nombreux, de plus en plus nombreux, et qu’aucun n’a fui. Nous ne les voyons pas mais sentons leur présence. Nos soldats retiennent leur souffle pour mieux écouter. C’est angoissant et tragique, ce face-à-face dans la nuit de ceux qui vont se prendre à la gorge et se poignarder .

Nous attendons. Je trouve le commandant dans la guitoune du capitaine de la 10° compagnie. On pense que l’assaut sera donné après neuf heures. On me propose de manger. Je n’ai pas faim.

21h30 – Je me rends au sud de l’extrême pointe du bivouac, là où sont les groupes de mitrailleuses, les mortiers et où, pendant le jour, on voit le moindre repli de la montagne.Toujours la même rumeur en face de nous dominée par la voix aiguë des femmes. Devant le parapet, en dehors du camp, un petit chien, celui d’un sous-officier aboie par intermittence.

Couchés, baïonnette au canon, et une seule cartouche dans le fusil, sur trois rangs en profondeur, la section hors-rang et tous les muletiers du bataillon sont là. C’est la suprême réserve, ils embrocheront ceux qui arriveront jusqu’ici.

Un officier me montre sur la droite un rocher dont l’ombre se découpe.

– Ils sont derrière ce petit promontoire. C’est à partir de là qu’ils vont essayer de sauter le mur.

Dans le camp le silence est absolu mais l’énervement est sensible. Qu’on en finisse !

Soudain, à vingt mètres de nous, de l’autre côté du mur, des cris, des appels, un véritable bruit de foule. L’assaut en masse que nous craignions, se produira au point où nous l’attendions. Nos percevons chaque syllabe prononcée par les dissidents. Des grenades volent. Vite ils se taisent. Lorsqu’ils approchent, le petit chien noir recule et aboie de plus belle. Brave petit chien, aussi utile pour nous que le furent pour Rome les oies du Capitole !
Les dissidents qu’il gêne beaucoup voudraient le faire taire et tirent plusieurs coups de feu pour l’abattre, en vain.

Une voix dit en français :

–    Loulou, viens ici !

Une autre, en français toujours, mais avec l’accent des faubourgs :

–    Mon adjudant, mon lieutenant, c’est pour votre gamelle qu’on vient ! On l’aura, votre gamelle !

Le lieutenant Pechery, perché sur un parapet, réplique :

–    Allons viens, mignon ! » et il lance des grenades.

Tout à coup, les femmes poussent des cris effrayants, des youyous dont le rythme se précipite. On entend « A mort, chiens ! on vous tient ! » et ils s’élancent. Notre réplique est brutale, intense, immédiate. Grenades, mortiers, mitrailleuses, tout part à la fois. Nous sommes au milieu d’un feu d’artifice. Cela dure une minute, puis plus rien. Seul le petit chien aboie toujours, et il s‘éloigne, poursuivant les dissidents, qui reculent. Quelques balles sifflent encore, puis le silence dans le camp devient total.Seuls persistent la rumeur lointaine dans la montagne et, autour de nous, des chuchotements, parfois la voix aiguë d’une femme. Il faut veiller, rester prêt. Je m’installe pour dormir au poste de secours, à côté de mes blessés, et m’enroule dans une couverture contre mes infirmiers.

Minuit – Les blessés reposent. Le malheureux à la poitrine transpercée râle. Il exhale un souffle profond, bruyant, monotone. Je suis couché à deux mètres de lui. Je pensais qu’il ne passerait pas la nuit, cependant, son râle d’agonisant me tient en éveil jusqu’au matin. Je n’ose écrire sa fin lamentable. Transporté le lendemain sur une litière, à dos de mulet, pour gagner l’ambulance, il glissera et tombera sur un rocher, son dos percutant l’arête dure. Qui accuser ? Mulet ? Piste ? Litière ? Convoyeur ? Je le savais perdu, mais il faut croire au miracle…

Mekki

    25 août – 6h du matin – Lendemain de victoire ? Qui sait ? Nous avons repoussé deux assauts, mais peut-être sommes-nous encerclés ? S’il en est ainsi, sans ravitaillement, sans corvée d’eau possible, nous serons obligés de battre en retraite dans cette montagne où il n’y a que rochers, ravins et forêts, en combattant dans les pires conditions. Certains sont pessimistes.

Aux créneaux, aux bastions, les officiers fouillent le terrain à la jumelle. Personne, pas un bruit. Des goumiers font des reconnaissances et reviennent sans accroc. Pas davantage de dissidents sur la face est : nous pourrons donc aller à la corvée d’eau. Par contre, au sud, sur les positions que nous occupions la veille, nous voyons distinctement des fusils dépasser des murettes que nous avions faites. Si on nous donne l’ordre de retourner là-bas, il faudra se frayer un chemin à la grenade et à la baïonnette.

Nos défenses étaient inachevées faute de temps. Cette fois, c’est sérieux, nous nous retranchons, et fiévreusement, chaque homme travaille. Les uns arrachent des pierres, les autres les portent, d’autres bâtissent. On entasse de la terre sur les parapets et on aménage des créneaux couverts, tandis que des murettes transversales pour protéger des coups d’enfilade sont commencées un peu partout. Quelques balles tirées de loin claquent encore sur le bivouac. On se prépare à assurer la corvée d’eau.

Le lieutenant Barrou revient de reconnaissance. Il parle avec de grands gestes. Un cercle se forme autour de lui.

–    Qu’est-ce qu’ils ont pris ! Ca c’est du beau travail ! Mon commandant, il y a du sang partout !

Des blessés ont peut-être été oubliés sur les pentes. Je sors avec Barrou et le commandant.

A chaque pas des flaques de sang ; sur les pierres, sur les feuilles, sur la terre où elles font des tâches noires.En face du groupe de mitrailleuses nord-est, sur un rocher, les dissidents avaient fait de petits abris avec de grosses pierres et des troncs d’arbre. On dirait qu’on a saigné des bœufs. Un chapelet nage au milieu du sang. Un véritable ruisselet noir part de là et coule dans les rochers. Plus loin, un morceau de crâne est plaqué contre un arbre. Et encore des flaques de sang : elles se touchent presque sur cette crête. Les murettes sont démolies par les obus de mortier et les grenades dont on retrouve les éclats. Dans le bois, un peu en arrière, les branches, les feuilles sont hachées par la mitraille. Par endroits, on voit des traînées rouges de plus d’un mètre. Mais pas un cadavre, pas un blessé. A la faveur de la nuit, les dissidents les ont tous enlevés. On suit à la trace, sur le sentier qui descend, le passage des blessés et des morts.

Dans le Tazigzaout,  de petits attroupements de femmes se forment à mesure que le temps passe. Les blessés légers et les femmes ramènent, chargés de cadavres et de blessés graves, les mulets et les ânes qui devaient ramener les dépouilles des vaincus. Toujours il en arrive. On sait maintenant l’acharnement de la lutte, l’issue indécise et les pertes subies. Des youyous éclatent. Comment reconnaître parmi ces loques humaines, ces yeux révulsés, cette tête sans visage, celui qu’ils chérissaient et qui était parti quelques heures plus tôt, fier de son beau mousqueton qu’il avait payé de tout son troupeau, jurant qu’il allait rapporter les dépouilles de ces lâches qui n’osent pas regarder les hommes libres de près. Pauvres gens qui avaient cru leurs apprentis sorciers !

–    Ah ! Chiens de Roumis !

C’est un concert de malédictions, de cris, aussi d’imprécations contre les mauvais bergers qui ont poussé à cette résistance sans issue, et aujourd’hui à cette attaque insensée.

– Qu’on en finisse ! Allons trouver les Français. Les autres Berbères vivent bien avec eux ; ils osent même nous combattre et ce sont les plus acharnés ! Voyez comme ils sont gras ! Ils ont de beaux troupeaux, leurs garçons et leurs filles chantent et dansent le haïdous, tandis que, depuis des années, nous nous cachons comme des chacals dans les rochers et les fourrés, avec souvent, pour toute nourriture, des baies de genièvre et des grains d’orge ! Nous grelottons la nuit, les membres de nos enfants bleuissent en hiver ? C’est assez !

Les sanglots, les lamentations dureront jusqu’à l’aube.  Alors, les exhortations à la résistance reprendront.

–    Il faut se soumettre à la volonté de Dieu, il n’abandonnera pas les siens.Les Roumis ont subi plus de pertes que nous et ne se lamentent pas. Faisons comme eux. Ils finiront par partir. Courage mes frères, aujourd’hui nous sommes tous rassemblés : qui pourra nous vaincre ? Des présages qui ne trompent pas montrent que c’est ici que nous serons vainqueurs.

Le siège du Tazigzaout durera encore quatorze jours de bombardements, de mitraillades, de combats. Comme une peau de chagrin, la dissidence se rétrécira sous nos yeux. Un jour les légionnaires s’emparent de l’extrémité ouest de la grande crête du Tazigzaout et y plantent leur drapeau. Des contre-attaques se succèderont pour reprendre cet éperon rocheux qui domine le pays. Mais les légionnaires les repousseront à la baïonnette et en resteront maîtres . C’est au cours de ce combat que mon ami le lieutenant Anthoine sera tué d’une balle en plein front.

Un jour les dissidents marquent un point. Nos troupes s’étaient emparés d’un piton très boisé adossé au flanc nord du Tazigzaout et que nous appelions le Piton des Cèdres. Les dissidents contre-attaquent, reprennent cette position et la conservent un temps. Succès sans lendemain.

Au sud-ouest de Tazra, deux longues crêtes parallèles aboutissant au confluent de l’Agheddou avaient été garnies de petits blockhaus par les dissidents. Après une intense préparation d’artillerie, les guerriers zaïan d’Amaroq nettoieront chaque trou à la grenade.

Tous les matins, nous prenons, sans être inquiétés, notre position à l’extrême pointe de Tazra, au-dessus du rocher. Nous allons là comme au spectacle.

9 septembre –  La dissidence n’occupe plus que le grand ravin du Tazigzaout. A peine déborde-t-elle de quelques centaines de mètres sur les rochers. Comment ces pauvres gens peuvent-ils encore tenir, entassés dans des trous creusés entre les racines des cèdres ou sous des rochers ? Hommes femmes, enfants, serrés là tout le jour, les uns contre les autres à étouffer, attendant fiévreusement la nuit pour courir à l’oued remplir une guerba et faire pacager les quelques moutons qui leur restent ? La pestilence est telle au milieu de tous ces cadavres d’hommes et d’animaux à demi-enterrés que l’odeur de charogne monte jusqu’en haut du Tazra.

Dès l’aube, nous devenons spectateurs d’un combat qui se déroulera sous nos yeux, à quelques centaines de mètres, et dont nous allons suivre intensément les péripéties. Tôt, le bombardement du grand ravin commence. Il se poursuivra sans répit. Le canon tonne comme jamais encore il n’a tonné, plusieurs batteries tirent en même temps, arrosant tous les replis de la montagne qui disparaît dans un nuage de poussière. Tirs de harcèlement, puis tirs de barrage avec des obus fusants, devant les vagues d’assaut. Il est précis, rapide et semble très efficace. Derrière lui, la cavalerie des Zaïan d’Amaroq charge avec des musettes de grenades en guise de sabre. En un clin d’œil elle a nettoyé les abords de l’oued et les petits ravins qui aboutissent au confluent, puis, fait inouï, elle s’élance au galop dans le grand ravin, le sanctuaire inviolé, sous le feu des dissidents, et le remonte ! Des fantassins suivent en courant, par petits groupes, et s’égaillent à droite et à gauche pour nettoyer les abords. On se croirait revenu aux charges héroïques d’antan. Le spectacle nous coupe le souffle.

C’est l’hallali. Les Zaïan occupent le tiers inférieur du ravin et progressent toujours. Le feu redouble, d’autres cavaliers arrivent, suivis de colonnes de fantassins. Rien ne les arrêtera.

Tout à coup, vers dix heures, les canons se taisent, la fusillade cesse, la fumée se dissipe et on voit les cavaliers redescendre paisiblement le ravin, regagner l’oued et s’en aller – sans oublier d’emporter les troupeaux razziés. Est-ce la fin ?

A onze heures trente nous déjeunons. Un message transmis par signaux optiques arrive : « Pourparlers de soumission engagés. Cessez-le-feu jusqu’à quatorze heures » .

Un peu plus tard nous voyons, au sommet du grand ravin, un vieillard d’aspect majestueux, vêtu d’un ample burnous blanc et d’un volumineux turban, s’avancer au milieu d’un petit groupe d’hommes et descendre lentement vers le bas de la vallée. On lui amène un cheval ou une mule. Au fur et à mesure qu’il avance, des groupes nombreux sortent de caches dont nous ne soupçonnions même pas l’existence et se précipitent pour baiser sa main ou le pan de son burnous. C’est Si El Mekki, le chef incontesté des dissidents qui, au nom de tous, va se soumettre à Amaroq et au général de Loustal.

Tout est fini. Il ne restera plus à pacifier, l’année suivante, que les contreforts sud du Haut Atlas, et l’Anti Atlas.

***

Avant les combats du Tazigzaout, j’étais convaincu qu’en soumettant les dissidents au gouvernement central, nous accomplissions une oeuvre humanitaire. N’allions-nous pas ramener les brebis égarées dans le droit chemin, les initier à notre civilisation, leur faire profiter de ses bienfaits ? Après la pénurie immémoriale qu’ils connaissaient, l’abondance et la sécurité que nous leur offririons leur paraîtrait le paradis !

Ce que je venais de voir modifia mon point de vue.

Si, malgré les bienfaits matériels palpables que nous apportions aux nouveaux soumis, la justice égale pour tous, le respect de leurs croyances, de leurs mœurs, de leurs coutumes – faits que les dissidents ne pouvaient ignorer – non seulement ils ne se soumettaient pas mais nous opposaient une résistance farouche, c’est que notre conception du bonheur, liée au bien-être matériel et à la sécurité, n’était pas valable pour eux.

Quel idéal valait toutes les souffrances, les privations, les pertes matérielles et humaines endurées depuis seize ans de luttes incessantes et comment cela pouvait-il encore être assez fort pour leur insuffler l’indomptable courage dont nous avions été témoins ?

Ce que les Berbères défendaient, ce n’était pas, malgré les apparences et les imprécations des fquihs, un idéal religieux, auquel nous ne portions d’ailleurs pas atteinte, non, c’était leur liberté, leur vie de pasteurs nomades dans leurs montagnes, sans autre servitude que celle du soleil, de la pluie ou de la neige. Peu leur importaient les chemins, les écoles, le médecin, le confort. N’avaient-ils pas toute la nature à leur disposition, le lait de leurs brebis, le miel de leurs abeilles, l’orge de leur petit champ et la laine de leurs toisons pour confectionner leurs vêtements et leurs tapis ? Que leur fallait-il de plus ? Ne se déplaçaient-ils pas à leur guise, au gré des saisons, de leur montagne à la plaine, sur les chemins de transhumance de leur tribu ? Qui venait les importuner, leur demander des comptes ? Personne. Les anciens réglaient les litiges et les difficultés quotidiennes. Les riches, suivant les préceptes du Coran, aidaient les plus pauvres, à la mesure de leurs moyens. Tout était bien ainsi. D’ailleurs, Dieu est le maître, c’est Lui qui octroie le bonheur et le malheur ; prions-le et soumettons-nous à sa loi car nous ne pouvons la changer.

Or, à la place de cette quiétude qui remet tout souci aux mains de la Providence, de cette vie simple réduite au nécessaire, de cette liberté véritable, nous allions apporter avec notre superflu et nos soi-disant progrès – qui créeraient aussitôt chez eux des besoins qu’ils n’avaient pas -, l’engrenage infernal de nos contrôles et de nos contraintes, fleurons de la civilisation moderne. Et ce sera irréversible, car on ne peut jamais s’en libérer.On a beau se battre pour que cela change, on ne peut que changer d’étau.

Leur avons-nous ainsi rendu service ? Je ne le crois pas. Seront-ils plus heureux ? Certainement non.

Les photos ont été prises de : http://www.francisboulbes.com/

ZAYD U HMAD

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